Par Margaux Lacroux — 19 février 2020 à 19:32 (mis à jour le 25 février 2020 à 14:34)
Extrait de la série «Sang Noir». Photo Elie Monferier
Si le dialogue reste difficile, quelques exemples de terrain montrent que la collaboration est possible.
Chasseurs et écolos, ça peut aussi collet
Chaque mois, Libération creuse une thématique environnementale. Premier épisode : la chasse est-elle écolo-compatible ?
Définitivement irréconciliables, écologistes et chasseurs ? Pas sûr. Ils peuvent (parfois) s’entendre. Surtout quand les intérêts des deux camps se trouvent menacés. Le plus souvent, ils s’allient pour contester de grands projets d’aménagement du territoire, qui empiètent sur des zones de chasse et peuvent dégrader les milieux naturels. Parmi les luttes figure le projet LGV Bordeaux-Dax et Bordeaux-Toulouse, dont les travaux pourraient commencer en 2022. Pas question d’artificialiser davantage terres et forêts ni de taillader les grands espaces, protestent les deux camps.
«Parmi nos quelques combats communs, il y a aussi le non à l’éolien industriel», ajoute Yves Verilhac, directeur de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Il cite le projet d’EDF dans le Blayais, qui veut implanter des éoliennes géantes de 180 mètres en zone protégée, sur la route d’oiseaux migrateurs. Idem pour un autre projet en Gironde, sur la commune de Lesparre-Médoc, où l’idée d’un parc éolien a été lancée en 2016. «Cela devait toucher une zone forestière, des couloirs migratoires, il y avait une problématique de destruction d’habitat et de la faune, raconte Philippe Barbedienne, directeur la Sepanso, fédération des associations de protection de la nature de la région Aquitaine, et lui-même chasseur de grand gibier. Le monde de la protection de la nature et les chasseurs ont été en phase pour dire que ce projet n’avait sa place.» Tous se côtoient dans un même collectif local, «Vent debout Médoc».
«On ne va pas non plus faire croire que ça va»
En revanche, du côté de la gestion de la nature, les exemples de coopération sont plus limités. Seule une réserve naturelle nationale, celle de la Belle-Henriette (Vendée), est cogérée par une association environnementale et la fédération de la chasse départementale. Et ça n’est pas tout rose. Alors que la chasse est en théorie interdite sur le territoire, le préfet accorde des dérogations pour le gibier d’eau et des oiseaux migrateurs, comme le rappelle le naturaliste Pierre Rigaux dans son ouvrage Pas de fusils dans la nature. Yves Verilhac, le directeur de la LPO, regrette un manque d’investissement de ses partenaires sur le terrain. «Le chasseur est avant tout un sportif qui vient pour jouer, pas pour repeindre les tribunes, lâche-t-il. On ne va pas non plus faire croire que ça va. Oui, localement et ponctuellement nous arrivons à travailler ensemble, mais politiquement ça ne fonctionne pas. Plus on monte au niveau national et moins c’est possible.» Nombre de chasseurs regrettent par exemple que leurs représentants nationaux ne se positionnent pas clairement contre l’agriculture industrielle et les pesticides, ce qui reviendrait à se ranger aux côtés des écologistes. Cette piste de consensus reste pour le moment inexploitée.
Au niveau hyperlocal, les discussions finissent parfois par aboutir au bout de plusieurs années. Fait rare, début 2018, des représentants de la société de chasse locale, de la fédération départementale de chasse et des défenseurs des oiseaux se sont retrouvés pour lancer ensemble la première phase d’un contrat Natura 2000 sur la commune de Champeix (Puy-de-Dôme). Six hectares en friche vont être restaurés et conservés par la LPO, avec l’ouverture d’un sentier de randonnée et la création de landes favorables au circaète, rapace chasseur de reptiles, à l’alouette lulu ou encore à la pie-grièche. L’idée avait émergé il y a plus de cinq ans. Tout est financé par les aides d’Etat et les chasseurs ont le droit de chasser sur le territoire.
Chasse «raisonnée»
«Quand des écolos de terrain rencontrent des chasseurs de terrain pas complètement idiots, la collaboration coule de source», veut croire Simon Charbonneau. Pour faire passer le message à plus grande échelle, il a cofondé l’Association nationale pour une chasse écologiquement responsable (Ancer) à la fin des années 80. Le discours se voulait plus savant et nuancé que celui du parti Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT), dont le jeu politique était de dire noir quand les Verts disaient blanc. Celui qui souhaitait «établir une paix négociée au lieu de se tirer la bourre»prend pour exemple des initiatives telles que celle du domaine de Belval (Ardennes).
Les 600 hectares de ce domaine parcourus de forêt sont gérés par la Fondation François-Sommer, qui collabore avec des naturalistes et promeut une chasse «raisonnée». La préservation du lieu est finement pensée, avec des couloirs biologiques, aucun intrant chimique, le recensement des espèces présentes dans les zones humides, dont 150 seulement côté oiseaux. On n’y tue que le sanglier et le cerf. L’état de santé de ce grand gibier est suivi de près. Un type de gestion proche de ce que l’association de Simon Charbonneau prônait : «Limiter les prélèvements, ne plus chasser à partir du moment où l’état des populations ne le permet plus, réintroduire des espèces qui ont disparu.» Il a pourtant jeté l’éponge il y a cinq ans, las d’essayer de faire le pont entre deux mondes crispés. Difficile d’instaurer un dialogue apaisé avec, aux deux extrémités, chasseurs «bornés»et écologistes anti-chasse.
D’autres ne désespèrent pas de trouver une voie intermédiaire. La LPO est en train de mener une expérimentation avec des chasseurs pour tester des munitions alernatives, sans plomb, dans le parc national des Cévennes, situé au sud du Massif central. Une façon d'éviter l'intoxication du gypaète barbu, oiseau en cours de réintroduction, quand celui-ci grignotte les dépouilles de gibiers touchés par des chasseurs.
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